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Les dynamiques territoriales de la centrale de Fessenheim (5) : Le nucléaire et le paysage

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Introduction : les paysages des énergies

Les centrales nucléaires sont, à de multiples égards, des marqueurs significatifs dans un paysage. Leurs imposants volumes en font des infrastructures aisément repérables, dont la visibilité varie en fonction de la nature du relief ainsi que de la présence ou de l’absence de tours de refroidissement. Qui plus est, leur période d’utilisation les inscrit pour plusieurs décennies dans le paysage. Enfin, leurs formes distinctes, et tout particulièrement celles des tours aéroréfrigirantes, sont devenues des objets iconiques porteurs de valeurs culturelles, sociales et politiques.

Si le paysage peut s’entendre comme l’étendue d’un pays s’offrant à l’observateur, la géographie lui donne une définition plus complexe reposant, a minima, sur l’interrelation entre deux composantes. D’un côté le paysage comme « portion d’espace soumit à la vue, remplie d’objets, appropriée par différents groupes sociaux » et de l’autre le paysage « espace vécu [que] les individus perçoivent selon leur propre sensibilité » . Le paysage est une superposition de couches, tant produites par la géomorphologie que par l’action aménagiste de l’Homme. Ainsi, pour penser le paysage en géographie, il faut autant s’attacher à sa déconstruction qu’à sa réception par les populations.

La production d’énergie a constamment marqué le paysage. On peut sommairement diviser ces « paysages des énergies » en trois temps. Dans l’ère préindustrielle, les sociétés agraires ont façonné le paysage pour maximiser l’énergie produite par l’insolation de la terre, moteur de la photosynthèse, du cycle de l’eau et des vents. Les traces diffuses de ces actions se retrouvent aujourd’hui dans la morphologie du défrichement des forêts, dans la mise en culture des terres ainsi que dans les ruines des moulins à vent et à eau.  Dans l’ère industrielle, la production d’énergie s’est centralisée en quelques lieux grâce à l’utilisation de ressources fossiles et nucléaires très concentrées. Enfin, l’ère post-industrielle se singularise par le développement des énergies renouvelables, dépendantes à nouveau de l’insolation de la terre, et par le déploiement sur de grands espaces de nouveaux moyens de production.

Cet article propose de questionner l’impact paysager de la centrale nucléaire de Fessenheim. Il s’agit ici d’un travail exploratoire qu’il faudra compléter par une étude de terrain auprès des populations afin de saisir leur perception de ce paysage du nucléaire. On s’attachera ici à analyser, d’un côté la visibilité de la centrale de Fessenheim dans le Rhin supérieur et de l’autre à singulariser ses particularités, par rapport aux autres sites nucléaires.

1- Fessenheim, ou « l’échec architectural » d’EDF

Bien que disparates et peu nombreuses, les recherches sur ces « paysages de l’électronucléaire » en France offrent matière à réfléchir. Les travaux de Jean Pelletier sur l’industrie nucléaire dans la vallée du Rhône soulignent l’importance de la morphologie des zones d’implantation et de l’architecture des centrales dans la construction de paysages du nucléaire différents. Ainsi, alors que la centrale de Saint-Alban, dépourvue de tours de refroidissement, tend à se fondre dans le paysage, les quatre tours de la centrale du Bugey dont les panaches s’élèvent à une centaine de mètres, marquent sa présence de loin. Le fait que les réacteurs nucléaires puissent constituer des repères visuels forts dont la présence dans le paysage participe à l’identité des territoires amène Sylvain Huot à proposer, dans son étude du démantèlement de la centrale de Brennilis en Bretagne, de ne pas détruire entièrement l’infrastructure afin de la patrimonialiser.

L’intégration paysagère des centrales nucléaires françaises est le produit d’une réflexion engagée au sein d’EDF à partir de 1974. La centrale de Fessenheim fait alors figure d’exception.  Lancée en 1970, sa construction est réalisée sans faire appel à des architectes. Son design est le produit de la suprématie des ingénieurs thermiciens dans l’entreprise qui, en conflit avec les ingénieurs hydrauliciens, transposèrent à Fessenheim les mêmes plans que pour les centrales thermiques, en englobant dans des boites les différents volumes qui constituent la centrale. Considérant la centrale de Fessenheim comme un échec architectural à ne pas répéter, EDF constitua en 1974 un collège d’experts dédié au déploiement du parc nucléaire comprenant neuf architectes menés par Claude Parent.

Nonobstant les bâtiments administratifs, la centrale se compose de sept principaux bâtiments : la station de pompage qui extrait l’eau du canal d’Alsace, les deux bâtiments combustibles où sont entreposés les combustibles usés, les deux bâtiments réacteurs, le bâtiment des auxiliaires nucléaires et la salle des machines où se trouve le turboalternateur qui transforme la vapeur produite en électricité. Le refroidissement de la centrale de Fessenheim étant assuré par les eaux du canal d’Alsace, elle ne possède pas de tours aéroréfrigérantes. Les bâtiments réacteurs sont alors les éléments les plus élevés de la centrale (voir plan de coupe ci-après). Avec 62 mètres de haut, on est loin des 178,5 m des tours de la centrale nucléaire de Golfech dans le Tarn-et-Garonne !

2- La centrale de Fessenheim dans son paysage

Implantée au bord du canal d’Alsace, la centrale de Fessenheim se trouve à l’intersection de deux grandes unités paysagères du côté français de la vallée du Rhin supérieur (voir carte ci-après)

D’une part, la centrale est construite dans la bande rhénane qui se caractérise par un dense cordon de forêt alluviale présente sur les rivages français et allemand du Rhin. Ces paysages ont été travaillés par la production d’énergie bien avant l’arrivée de la centrale. L’aménagement du canal d’Alsace a permis la construction de multiples barrages hydroélectriques et une partie de la forêt a été défrichée pour mettre en culture ses terres. Les crues du Rhin ont éloigné le tissu de villages vers l’intérieur des terres tandis que l’ouverture du canal a entraîné l’industrialisation de la bande. Enfin, le paysage est marqué par de nombreux ruisseaux bordés de végétations.

D’autre part, la centrale de Fessenheim s’inscrit dans les paysages de la Hardt qui s’étendent à l’ouest du canal. Marquée par l’absence de tout relief important, la Hardt se décompose entre un grand massif forestier au sud et des cultures céréalières au nord ponctuées de village. Comme pour la bande rhénane, son paysage est marqué par la production d’énergie. En dehors des lignes électriques partant de la centrale, on y retrouve de multiples canaux venant irriguer des champs gagnés sur la forêt après défrichement.

3- Fessenheim, un élément marquant du paysage alsacien

La vallée du Rhin supérieur où est implantée la centrale de Fessenheim se singularise par son très faible relief tant dans les axes Sud-Nord qu’Est-Ouest, comme les coupes topographiques ci-après le montre bien. Le relief ne limite ainsi pas la présence de la centrale dans le paysage.

 

La carte suivante, réalisée grâce au programme Pixscape développée par le laboratoire Thelma de Besançon, permet d’appréhender la visibilité de la centrale nucléaire de Fessenheim.

Plusieurs dynamiques sont à souligner. L’importante forêt alluviale présente sur la rive allemande limite très fortement la visibilité de la centrale de ce côté de la frontière. Ceci est renforcé par la position de l’infrastructure huit mètres en dessous du canal d’Alsace. Les données allemandes restent cependant parcellaires et devront être reconfirmées. Côté français, cette forêt ne masque la centrale que dans les premières centaines de mètres. Toutefois, elle cache les plus petits bâtiments, ne laissant visible que la salle des machines ainsi que les deux bâtiments réacteurs. À l’ouest, la présence de villages ne limite que très partiellement la visibilité de la centrale. Les bois et forêt constituent les principaux obstacles, et tout particulièrement la forêt de la Hardt au sud-ouest. Au nord et au nord-ouest, la vue de la centrale est obstruée par des rangées d’arbres plantés au bord de canaux ou de petits ruisseaux. Ainsi, plus que le relief, ce sont les éléments propres aux unités paysagères de la Hardt et de la Bande rhénane, qui limite la visibilité de la centrale nucléaire de Fessenheim.  Cette carte permet de spatialiser le « vécu du nucléaire » en donnant à voir l’emprise de la centrale dans leurs paysages quotidiens.

La perception de la centrale de Fessenheim ne se limite toutefois pas à ces espaces proches. Situés dans la plaine d’Alsace, les bâtiments blancs de la centrale sont immanquables depuis une partie des versants est du massif vosgien dans des conditions météorologiques idéales.

La visibilité seule ne suffit toutefois pas à étendre ce paysage du nucléaire au massif vosgien. Il serait intéressant d’enquêter auprès des randonneurs afin d’évaluer leur capacité à identifier la centrale dans le panorama. Depuis les Vosges, la centrale est un marqueur du paysage alsacien facile à identifier pour celui qui la connaît. Mais, comme les photos ci-après le montrent, en absence de tours de refroidissement, il parait difficile pour un observateur non initié de différencier ces grands bâtiments blancs de ceux d’une usine conventionnelle.

Conclusion :

Considérée au sein d’EDF comme un échec architectural, la centrale de Fessenheim fut l’élément déclencheur d’une réflexion sur le paysage lors du déploiement du parc nucléaire Français. Plusieurs éléments singularisent l’irruption de la centrale dans la vallée du Rhin supérieur. D’une part, la visibilité de la centrale est limitée par les bois qui structurent son territoire, circonscrivant ce « paysage du nucléaire » à quelques villages situés sur la rive française du Rhin. Alors la centrale est visible depuis plusieurs sommets vosgiens, l’absence de tours aéroréfrigérantes, symboles populaires de l’industrie atomique, diminue la portée des paysages du nucléaire aux seules personnes connaissant sa position.

Cet article exploratoire invite à envisager plusieurs recherches ultérieures. D’une part, il conviendra de récupérer les données manquantes du côté allemand, et en particulier les Modèles Numériques d’Élévation (MNE) afin de produire des cartes de visibilité plus précise. D’autre part, il faudra mener des entretiens auprès des populations vivant à proximité de la centrale afin d’identifier leur rapport avec ces paysages du nucléaire.


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